vendredi 14 décembre 2007

Carnet de Pillage - Partie 1

Marco faisait de son mieux pour ne pas se mettre à courir. Il fallait éviter de trop attirer l’attention sur lui, et il avait déjà l’impression que tous les passants de la starway tournaient la tête à son passage. Il expira bruyamment, se força à faire de plus petits pas et à paraître moins nerveux, ce qui n’était pas une mince affaire, l’idée qu’une bande de porte-flingues devait sûrement être sur sa trace l’emportait sur toute tentative de relaxation. Patience, à la prochaine intersection, il serait à l’abri chez Joe (Joe’s Cantina, l’endroit des pires endroits de la starway, et donc sûrement de l’astéroïde entier) et il pourrait enfin planquer le livre. Le livre. Il le sentait peser sous sa veste, et resserra son étreinte autour du carnet alors qu’inconsciemment il se remettait à courir à moitié. Ce foutu livre allait le rendre riche, lui. Et aussi al’kareim, et muazi, et même la conserve. Mais surtout lui, quand même. Rien qu’à penser comment les tueurs de la Control And Kill Brigada avaient démonté les corsaires T’arn pour s’en emparer, il sentait ses poils se hérisser. Il eu envie durant une seconde de jeter un coup d’oeil derrière son épaule pour savoir si on le suivait, mais la pensée de voir trois droïdes ConAKill-Brig surgir dans l’allée l’en empêcha. Alors, il choisit de se remémorer comment il était tombé sur le carnet, et voyait déjà s’amasser des tonnes d’astrocrédits.

Ça s’était passé une petite heure auparavant, dans la décharge du dôme inférieur. Un monticule de ferrailles diverses tenu par d’anciens paracommandos impériaux qui voulaient mettre du beurre dans leur potage. C’était le meilleur endroit de l’astéroïde X33 pour venir faire des affaires, le comptoir de chez Joe excepté, et le capitaine avait chargé Marco de trouver un robot anti-traqueur. Les unités de camo-planquage étaient en effet indispensables pour les cargos comme La baleine, qui devaient généralement éviter trop de contacts avec les scanners des spaciodouanes, astéroflics et galactico-emmerdeurs. Le leur ayant grillé suite à une discussion avec des intercepteurs du Consortium Bencali, il devenait urgent de récupérer une pièce neuve.
Marco était donc entré dans la casse en pensant qu’il n’aura jamais assez de la somme donnée par la capitaine pour acheter un robot anti-traqueur encore en état de marche, et qu’il devrait donc user de milles ruses pour que le Colonel O’Tejri, passé de chef de régiment paracommando à mafieux en chef, veuille bien lui en vendre un au rabais. Or il les avait déjà toutes usitées avec le patron de la casse, et le colonel avait failli lui prendre ses deux bras en échange sa dernière promo. Marco prit une inspiration et entra d’un pas vif dans le bunker défoncé qui servait de boutique principale à la casse. Si ça se trouve O’Tejri ne se montrera pas rancunier...
- Bonjour à vous mon colonel ! Alors vielle racaille, toujours pas passé au peloton d’execut... Marco s’arrêta net lorsqu’il se retrouva nez à nez avec trois T’arn le dépassant tous d’une tête. Les T’arn n’avaient pas la réputation d’être de bons paroissiens, et se retrouver face à face avec trois d’entre eux faisait toujours son petit effet, même pour un baroudeur des étoiles comme Marco. Le colonel sortit de derrière son comptoir se frottant les mains comme un requin venant de faire une bonne affaire, et sa vilaine face couverte de cicatrices s’orna d’une sourire ignoble à l’attention de Marco.
- Quelle surprise, mon petit Marco qui revient me voir ! Ça fait vachement plaisir, surtout que ça doit être pour payer ses petites dettes, hein Marco ? Le dénommé Marco adressa un regard très peu rassuré en direction des trois corsaires.
- Heu, et bien... Sûr hein, les bons comptes font les bons amis, alors... et bien je me suis dit : « Allons voir ce bon vieux copain de Colonel, histoire de, » Enfin, voilà quoi... hein !
- T’inquiète pas pour ces trois-là, ce sont des touristes qui viennent juste de m’acheter un stock de biocarburant pour leur navette, ils étaient en rade, pas la peine de devenir blanc comme ça Marco ! Les trois guerriers couverts de tatouages se mirent à sourire de toutes leurs belles dents noires, ce qui n’était pas vraiment plus rassurant qu’un clin d’oeil de terminator.
- Des touristes ! Éclata Marco en riant. O’Terji n’était pas le meilleur pour trouver des couvertures à ses affaires, et ces trois là en combinaison de marin T’arn arboraient l’insigne de la légion noire du Seigneur Desk Tayrét sur leur joue droite. Il ne devait pas y avoir de pires tueurs psychotiques dans toute la constellation d’Amir. Les T’arns se dirigeaient vers la sortie, à moitié hilares et déclarant qu’ils enverraient une carte postale des jardins d’Ozha au colonel en remerciement.
- Des bons gars, ils viennent de me refiler trois tonnes de nanotechs Naqua à un prix modique. Le colonel reprit un grand sourire :
- Évidemment, la provenance des marchandises ne me regarde pas !
- Évidemment...
- Bon Marco, cessons de rire, j’espère que ce pourri de capitaine de ton rafiot pourri t’envoie pour me payer, n’est-ce pas ?
- Hem, et... Je voulais t’en parler justement. Tu sais, on a eu un petit pépin dans le nuage de Hower, et notre unité anti-traqueur est ruinée, alors... Il y eu alors un grand bruit de tir de laser, et Marco mourut. Enfin il crut mourir, mais compris que ça n’était pas O’Terji qui venait de le descendre, mais une violente fusillade qui commençait à l’extérieur de la boutique. Des ogives énergétiques traversaient les murs de la boutique, Marco et le colonel se jetèrent au sol avec le réflexe de ceux qui ont l’habitude se faire plomber comme des lapins. Les aboiements d’armes de poing T’arn à projectiles solides répliquèrent à la pluie de tirs de lasers. Marco avait réussi à sortir de la bicoque par une porte à demi défoncée, et rampait maintenant le long d’un mur. Il croisa quelques cadavres en uniformes de la ConAKill-Brig, police d’intervention sur l’astéroïde et commençait à comprendre. Il risqua un coup d’œil au-dessus du vieux bloc-moteur qui lui servait d’abri, et fut accueilli par une volée de lasers. Mais ce qu’il avait eu le temps de voir confirma ses soupçons. Une vingtaine de flics de la Brigade, assistés par quelques robots de répression estudiantine (Modèle S0.rb-One avec les deux gatlings laser et lance-flamme lourd intégré) étaient en train de noyer deux des trois T’arn sous une avalanche de tirs. Ils s’étaient planqués dans un monticule de ferraille d’où ils étaient invisibles, descendant un par un les robots et la flicaille avec leurs gros calibres de poing, mais ne tiendraient pas longtemps sous l’avalanche de feu. Marco se demanda un instant comment ils avaient pu conserver leurs armes, puis sourit en se ravisant. Les T’arn étaient comme des couteaux suisses, il y avait toujours une dernière lame de planquée quelque part. Et même avec le cure-dent ou la pince à épiler, ils restaient des tueurs. Marco se décala un peu et vit que le troisième n’était qu’à huit mètres de lui, en très mauvaise posture. Les rafales des gatlings lasers commençaient à faire fondre la cuve derrière laquelle il était abrité, et à en juger par la dizaine de corps étalés autour de lui, il devrait bientôt être à court de munitions. Le t’arn avait lui aussi l’air d’avoir compris que sa situation n’était pas enviable. Il rangea son pistolet pour dégainer une courte lame à l’aspect assez peu engageant, et balança une poignée de petites capsules de son autre main vers les positions des commandos de la police. Le t’arn bondit comme un diable hors de sa cachette alors que les explosions éblouissantes soufflaient les combattants. L’onde de chaleur s’écrasa sur la planque de Marco, et il put observer le t’arn, qui s’était un instant planqué à coté de lui pour éviter de brûler, sauter de couvert en couvert, profitant du chaos et du nuage de fumée verdâtre généré par son feu d’artifice. Marco entendait des explosions secondaires, et conclut que les deux autres bandits devaient avoir recours aux mêmes grenades pour couvrir la fuite de leur confrère. Le seul problème, c’est que les droïdes S0.rb-One en nano-armure de titane étaient moins fragiles que leurs alliés humains, et qu’ils disposaient de cibleurs intelligents se moquant pertinemment du nuage fumigène. Le t’arn fut transpercé de trois lasers lorsqu’il bondissait par-dessus un tas de tuyaux rouillés, et retomba à deux mètres seulement de Marco. Ce dernier compris trois choses :
1) Qu’il faudrait penser à très très vite dégager, et sans se faire voir.
2) Que récupérer la dizaine de petits tubes d’explosifs étalés au sol serait une bonne idée.
3) Que jeter un coup d’œil au livret dépassant d’une sacoche du cadavre et semblant justifier l’attaque serait sûrement très lucratif.

Marco en était à son 5ème CokeVodkaCoca, et commandait déjà son 6ème lorsque Joe lui rappela qu’il n’avait pas bu le précédent.
- Ah oui-ouiii, t’as HIC raison mon pote, c’est vrai, hihi, j’avais pas HIC bu, heu non vu, hihihi.
L’homme assis au comptoir à côté de l’épave, pardon de Marco souffla, attendit quelques secondes comme quelqu’un qui va bientôt perdre patience et entrer dans une rage meurtrière. Mais ce n’était pas de suite. Le capitaine Karl Walker attrapa le verre des mains du matelot Marco et le reposa de l’autre coté du zinc, hors de portée de l’ivrogne. Marco protesta vivement avant de croiser le regard de son capitaine, et dégrisa d’un coup.
- Heu, désolé capitaine, je suis à vous.
- Bien, je préfère ça. Joe récupère tes verres, mon ami va arrêter de boire pour l’instant, n’est-ce pas Marco ?
- Je suppose que oui, capitaine...
- Nous reprenons donc. Tu as trouvé ce livre sur le cadavre d’un t’arn à la décharge de O’ Terji, et tu penses que ce bout de papier peut nous faire gagner du blé ?
- Affirmatif capitaine. Les yeux de Marco semblaient avoir évacué toutes leurs vapeurs alcooliques, maintenant remplacées par une lueur de cupidité primaire.
- C’est bien simple. Il sortit le carnet racorni de l’intérieur de sa veste.
- Voyez capitaine, c’est évident :
- Mais tu sais lire le t’arn toi ?
- Non, mais lisez ici : On y voit, à chaque page, un nom de planète, de station orbitale ou autres coordonnées spatiales. Pour chaque planète, des noms de ce qui semble être des villes : là regardez, on y voit San Haver, sur Blok III, et là, l’astroport d’Esmina sur la planète gazeuse Herni, ou encore les villes et stations des lunes d’Isbaar. Tout est répertorié et...
- En effet, mais continue ton raisonnement. Le capitaine Walker semblait porter de plus en plus d’intérêt pour l’histoire de son matelot.
- Regardez, ça et ça, ce n’est pas du t’arn. On arrive à deviner qu’il s’agit d’adresses, de localisations, donc dans le langage indigène. Mais le mieux reste ça, il suit une certaine somme d’argent exprimée en crédits, et à chaque fois accompagnée d’annotations en t’arn. Je pense qu’il s’agit simplement du magot planqué par le corsaire sur toutes les planètes qu’il a visité, indexées, planète par planète, et ville par ville !
- Marco, tu es un génie, encore plus quand tu es soul ! Mais dis-moi, ces sommes sont minuscules. Regarde là, et là, 25 astrocrédits, cela n’est quand même pas un magot, et ça, 3450 unités de cette devise planétaire, cela ne vaut même pas un repas !
- Justement chef, il faut admirer le génie de ce mercenaire, il a planqué des sommes suffisantes dans chacun des astroports de la constellation pour avoir de quoi agir en cas de coup dur, mais pas assez pour attirer l’attention en cas de découverte. Et regardez le nombre de planques, si on retrouve l’intégralité des cachettes soigneusement notées dans le carnet, ça ne fera un sacré pactole... sans compter que je suis certain qu’on trouvera bien de quoi nous amener sur un vrai trésor, ou sur les planques de ses copains...
- Héhé, je vais faire démarrer la baleine, réveille l’équipage, l’étape sur l’astéroïde X33 est terminée, on a un trésor à récupérer. Par contre, j’aurai bien voulu savoir ce que veulent dire ces indications en t’arn.
- Capitaine, il suffit de demander à quelqu’un qui sache lire le t’arn.
- Brillant matelot. Tu es désigné volontaire pour aller demander au prochain t’arn que nous croiserons comment dépouiller un de ses camarades de jeu. Exécution !
- Et merde...

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